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DE GUSTAVE FLAUBERT.

n’aient été tout simplement perdues par la poste. Même histoire est arrivée à Mme Dubois de L’Estang, à ce que m’a dit sa mère, car elle, je ne l’ai pas vue ; j’ai fait à Rouen un voyage inutile.

Puisque le gouvernement (ou la Commune, je n’en sais rien) a fourré son nez dans mes épîtres, je ne vois pas pourquoi je me gênerais ; donc je vais reprendre mes habitudes et vous appeler comme autrefois par votre vrai nom, car pour moi vous êtes toujours une Altesse, et mieux que cela : « notre Princesse » comme disait Sainte-Beuve. C’est une appellation qui, parmi ceux que je connais, n’appartient qu’à vous. Elle est unique, comme le sentiment que je vous porte.

Je vous sens très triste, et je voudrais vous être bon à quelque chose. Le souvenir des heures que je passais près de vous, à Saint-Gratien et dans la rue de Courcelles, me tient au cœur d’une façon forte et charmante. Je revois tous ces endroits où vous alliez, veniez, en répandant autour de vous comme de la lumière et de la bonté.

Dans ce moment-ci, j’ai une envie folle de vous baiser les mains.

Ah ! je comprends bien tout ce que vous me dites ! et je crois que personne ne le comprend mieux. Moi aussi, pendant huit mois, j’ai étouffé de honte, de rage et de chagrin, j’ai passé des nuits à pleurer comme un enfant. Je n’ai pas été loin de me tuer. J’ai senti la folie qui me prenait, et j’ai eu les premiers symptômes, les premières atteintes d’un cancer. Mais à force d’avoir fait bouillir mon fiel, je crois qu’il s’est purifié, et je vous avoue que maintenant je suis devenu, pour les malheurs publics, à peu près insensible. Quant