Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
DE GUSTAVE FLAUBERT.

a proposé à un club la fabrication de piques pour lutter contre des chassepots !

Ah ! qu’il eût été plus pratique de garder Badinguet, afin de l’envoyer au bagne une fois la paix faite ! L’Autriche ne s’est pas mise en révolution après Sadowa, ni l’Italie après Novare, ni la Russie après Sébastopol. Mais les bons Français s’empressent de démolir leur maison dès que le feu prend à la cheminée.

Enfin, il faut que je vous communique une idée atroce : j’ai peur que la destruction de la colonne Vendôme ne nous sème la graine d’un troisième empire. Qui sait si, dans vingt ans ou dans quarante ans, un petit-fils de Jérôme ne sera pas notre maître ?

Pour le quart d’heure, Paris est complètement épileptique. C’est le résultat de la congestion que lui a donnée le siège. La France, du reste, vivait, depuis quelques années, dans un état mental extraordinaire. Le succès de la Lanterne et Troppmann en ont été des symptômes bien évidents. Cette folie est la suite d’une trop grande bêtise, et cette bêtise vient d’un excès de blague, car, à force de mentir, on était devenu idiot. On avait perdu toute notion du bien et du mal, du beau et du laid. Rappelez-vous la critique de ces dernières années. Quelle différence faisait-elle entre le sublime et le ridicule ? Quel irrespect ! quelle ignorance ! quel gâchis ! « Bouilli ou rôti, même chose ! » et en même temps quelle servilité envers l’opinion du jour, le plat à la mode !

Tout était faux : faux réalisme, fausse armée, faux crédit et même fausses catins. On les appelait « marquises », de même que les grandes dames