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DE GUSTAVE FLAUBERT.

retards. Voilà pourquoi je ne vous ai pas répondu plus vite. Et puis, j’étais tellement accablé (je le suis encore) que je n’avais pas la force de prendre une plume. Je ne crois pas que personne ait été, plus que moi, désespéré par cette guerre. Comment n’en suis-je pas mort de rage et de chagrin !

J’étais comme Rachel, je ne « voulais pas être consolé » et je passais mes nuits assis dans mon lit, à râler comme un moribond. J’en veux à mon époque de m’avoir donné les sentiments d’une brute du XIIe siècle. Quelle barbarie ! quelle reculade ! Je n’étais guère progressiste et humanitaire cependant ! N’importe, j’avais des illusions ! Et je ne croyais pas voir arriver la Fin du monde. Car c’est cela ! nous assistons à la fin du monde latin. Adieu tout ce que nous aimons ! Paganisme, christianisme, muflisme. Telles sont les trois grandes évolutions de l’humanité. Il est désagréable de se trouver dans la dernière. Ah ! nous allons en voir de propres ! Le fiel m’étouffe. voilà le résumé.

Quant à mes pénates dont vous vous informez et qui me sont devenus odieux, ils ont été souillés pendant quarante-cinq jours par dix Prussiens, sans compter quatre chevaux, plus par six autres pendant six jours, et actuellement il n’y en a chez moi rien que quarante. Oui, quatre fois dix ! Vous avez bien lu !

Je m’étais réfugié à Rouen, dans un appartement à ma nièce, où j’en ai six, etc.

Mais tout cela n’est rien comparativement à ce que vous avez souffert. Je sais que ces messieurs se sont amusés avec vos robes. On n’est pas plus drôle. Pauvre Mantes !