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CORRESPONDANCE

Les consolations m’irritent. Le mot espoir me semble une ironie. Je suis très malade, moralement ; ma tristesse dépasse tout ce qu’on peut imaginer, et elle m’inquiète plus que tout le reste.

Ta grand’mère est chez toi, à Rouen. J’y ai couché avant-hier, j’irai demain déjeuner ; elle reviendra ici samedi et retournera à Rouen lundi. Ces changements de lieu la distraient un peu ! Si les Prussiens viennent à Rouen, elle ira loger à l’Hôtel de France, ou même à l’Hôtel-Dieu, mais cela à la dernière extrémité et pendant trois ou quatre jours. Je ne veux pas qu’elle reste à Croisset, si nous y avons des garnisaires. Quant à moi (le cas échéant), je suis décidé à m’enfuir n’importe où, plutôt que de les héberger. Ce serait au-dessus de mes forces.

Peut-être la paix sera-t-elle faite avant cela ?

Voilà ton mari devenu soldat. Mais comme il est du troisième ban, il n’est pas près de partir !

Il t’aura dit sans doute qu’on voulait couper les trois cours de Croisset pour faire une route de Croisset à Canteleu. J’en ai été fort tourmenté d’abord ; mais le projet est impraticable, à cause de la dépense qu’il entraînerait. Néanmoins, je n’ai pas le cœur complètement allégé de ce côté.

Voilà la neige qui tombe ! le ciel est gris, et je suis là, tout seul, au coin de mon feu, à rouler dans ma tristesse ! Adieu, ma pauvre Caroline, ma chère enfant !

Ton vieil oncle bien avachi.