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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Tous les amis que j’y avais sont morts ou disparus. Je n’ai plus de centre. La littérature me semble une chose vaine et inutile. Serai-je jamais en état d’en refaire ?

Oh ! si je pouvais m’enfuir dans un pays où l’on ne voie plus d’uniformes, où l’on n’entende pas le tambour, où l’on ne parle pas de massacre, où l’on ne soit pas obligé d’être citoyen ! Mais la terre n’est plus habitable pour les pauvres mandarins !


1142. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, jeudi, 3 heures [10 novembre 1870].
Mon pauvre Caro,

Nous sommes toujours dans le même état. Dimanche soir on nous annonçait 80 000 Prussiens se dirigeant sur Rouen à marches forcées. Aujourd’hui, on dit que c’est impossible, parce qu’ils doivent prendre auparavant les places fortes entre Metz et Amiens. Ainsi, nous ne les aurions pas encore tout de suite, pas avant huit ou quinze jours. D’autre part on dit (toujours les on-dit) que les puissances neutres, l’Angleterre en tête, veulent à toute force s’interposer, mais la Prusse est plus forte qu’elles et peut les envoyer promener. Le moyen de croire qu’ils cèdent, étant vainqueurs ! Pourquoi s’en iraient-ils, puisqu’ils ont le dessus. Ils prendront Paris par la famine. Mais combien de temps Paris peut-il lutter ? Quelle angoisse ! c’est une agonie continuelle !