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CORRESPONDANCE

épouse accompagnée de ses deux enfants. Nous n’avons parlé que de la guerre, bien entendu. Je vois que tout le monde est inquiet. Moi-même, je me sens le cœur tout serré. L’angoisse publique me gagne, et s’ajoutant à mes motifs personnels d’embêtement, ça ne laisse pas que de faire un joli petit total. Toi aussi, ma chère Caro, tu me parais un peu sombre. Est-ce que ton mari a de sérieuses inquiétudes relativement à ses affaires ? Ou bien est-ce toi seulement qui te préoccupes outre mesure ? Je crois que de toutes façons j’ai mangé (comme on dit) mon pain blanc le premier. L’avenir ne m’apparaît point sous des couleurs de rose. Si je te savais absolument heureuse, au moins ! ce serait une consolation, car tu es bien la personne que j’aime le mieux, ma chère Caro. Comme je regrette ta gentille compagnie ! Songe donc que je n’en ai plus maintenant aucune ! (Voilà que je vais m’attendrir comme une bête !) Causons d’autre chose !

Et quoi ? du bon Saint Antoine ? Eh bien, il va doucettement.

J’espère en avoir écrit quatorze ou quinze pages au milieu de la semaine prochaine. Alors j’irai te faire une petite visite.

Tâche de secouer ta grand’mère. Il faut ne pas la plaindre, et l’empêcher de penser à elle-même continuellement.

J’ai reçu une lettre lamentable de Mme Sand. Il y a une telle misère dans son pays, qu’elle redoute une jacquerie. Les loups viennent la nuit jusque sous ses fenêtres, poussés par la soif. Et elle leur fait la chasse avec son fils.

Il y a des tableaux plus gais, tels que la