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DE GUSTAVE FLAUBERT.

1093. À MADAME HORTENSE CORNU.
Dimanche soir [20 mars 1870].

Votre dévouement s’était alarmé à tort, chère Madame. J’en étais sûr. Voici la réponse qui m’arrive poste pour poste.

Les gens du monde, je vous le répète, voient des allusions où il n’y en a pas. Quand j’ai fait Madame Bovary on m’a demandé plusieurs fois : « Est-ce Mme *** que vous avez voulu peindre ? » Et j’ai reçu des lettres de gens parfaitement inconnus, une entre autres d’un monsieur de Reims qui me félicitait de l’avoir vengé ! (d’une infidèle).

Tous les pharmaciens de la Seine-Inférieure, se reconnaissant dans Homais, voulaient venir chez moi me flanquer des gifles ; mais le plus beau (je l’ai découvert cinq ans plus tard), c’est qu’il y avait alors, en Afrique, la femme d’un médecin militaire s’appelant Mme Bovaries et qui ressemblait à Madame Bovary, nom que j’avais inventé en dénaturant celui de Bouvaret.

La première phrase de notre ami Maury en parlant de l’Éducation sentimentale a été celle-ci : « Est-ce que vous avez connu X***, un Italien, professeur de mathématiques ? Votre Sénécal est son portrait physique et moral ! Tout y est, jusqu’à la coupe des cheveux ! » D’autres prétendent que j’ai voulu peindre, dans Arnoux, Bernard-Latte (l’ancien éditeur) que je n’ai jamais vu, etc.

Tout cela est pour vous dire, chère Madame, que le public se trompe en nous attribuant des intentions que nous n’avons pas.