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DE GUSTAVE FLAUBERT.

immortel de ses ouvrages était Candide. Il n’y a jamais eu de grands hommes vivants. C’est la postérité qui les fait. Donc travaillons, si le cœur nous en dit, si nous sentons que la vocation nous entraîne ; quant au succès matériel, grand ou petit, qui doit en résulter pour nous, il est impossible là-dessus de rien présager. Les plus malins (ceux qui prétendent connaître le public) sont chaque jour trompés.

Il n’en est pas de même de la réussite esthétique. Ici les préjugés ont une base. Un œil exercé ne peut se méprendre absolument. J’ai lu votre Âge de Cuivre avec grande attention et je vous dis hardiment : « Faites-en d’autres ! ».

Je viens donc, sans plus d’ambages, vous exprimer tout ce que je pense.

Le grand monologue du commencement m’a fort surpris puisque c’est, à peu de chose près, un monologue qui existe dans une féerie de moi, faite en collaboration avec Louis Bouilhet : c’est vous dire qu’il m’a plu, n’est-ce pas ? Tous vos caractères sont vrais et vous voyez juste, ce qui est le principal. Mais vous passez à côté de situations superbes dont vous ne tirez pas parti, vous laissez vos diamants par terre sans les enchâsser, ce qui est une maladresse. Les exemples me viendront tout à l’heure. Il y a trop, beaucoup trop de dialogues. Pourquoi ne pas vous servir plus souvent de la forme narrative et réserver le style direct pour les scènes principales ? Tous les entretiens de votre histoire n’ont pas eu, dans la vie, la même valeur ; ils doivent donc être présentés différemment.

Si vous aviez mis à l’indirect tout ce qui se dit