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CORRESPONDANCE

Je m’incline devant ce qui suit. Vous avez raison, cher maître, j’ai donné le coup de pouce, j’ai forcé l’histoire, et comme vous le dites très bien, j’ai voulu faire un siège. Mais dans un sujet militaire, où est le mal ? Et puis je ne l’ai pas complètement inventé, ce siège ; je l’ai seulement un peu chargé. Là est toute ma faute.

Mais pour le passage de Montesquieu relatif aux immolations d’enfants, je m’insurge. Cette horreur ne fait pas dans mon esprit un doute. (Songez donc que les sacrifices humains n’étaient pas complètement abolis en Grèce à la bataille de Leuctres, 370 avant Jésus-Christ.) Malgré la condition imposée par Gélon (480), dans la guerre contre Agathocle (392), on brûla, selon Diodore, deux cents enfants ; et quant aux époques postérieures, je m’en rapporte à Silius Italicus, à Eusèbe, et surtout à saint Augustin, lequel affirme que la chose se passait encore quelquefois de son temps.

Vous regrettez que je n’aie point introduit parmi les Grecs un philosophe, un raisonneur chargé de nous faire un cours de morale ou commettant de bonnes actions, un monsieur enfin sentant comme nous. Allons donc ! était-ce possible ? Aratus, que vous rappelez, est précisément celui d’après lequel j’ai rêvé Spendius. C’était un homme d’escalades et de ruses, qui tuait très bien la nuit les sentinelles et qui avait des éblouissements au grand jour. Je me suis refusé un contraste, c’est vrai ; mais un contraste facile, un contraste voulu et faux.

J’ai fini l’analyse et j’arrive à votre jugement. Vous avez peut-être raison dans vos considérations sur le roman historique appliqué à l’antiquité, et