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DE GUSTAVE FLAUBERT.

veriez dans l’expression franche de ma pensée la moindre dureté ! Vous avez pris pour de l’égoïsme ce qui n’est que la vérité. Je m’explique :

Je crois (je vous le répète) que le théâtre et les théâtres touchent à leur dernier moment, et qu’il faudrait pour y porter remède une révolution radicale. Ceux des provinces ne peuvent vivre. Tous les directeurs, les uns après les autres, font faillite ; cela est un fait indiscutable ! On aura beau prodiguer les subventions, le goût public manque ; or un théâtre ne peut vivre que par le public. Quant à celui d’Angers, qui vous intéresse particulièrement, je vous répète encore une fois que l’Empereur n’en est pas plus le maître que vous. J’admets qu’il fasse savoir son désir à votre conseil municipal et que ledit conseil vote une subvention ; avant six mois votre théâtre sera fermé faute de spectateurs. Rouen, qui est une ville de cent mille habitants, n’a plus qu’une petite troupe de vaudeville, malgré une subvention de 60 000 francs ; c’est la somme qui servait autrefois à payer le corps de ballet !

Je n’ai fait aucune démarche pour vous être agréable, parce qu’on m’aurait ri au nez. Je vous en donne ma parole d’honneur. Je n’ai point d’ailleurs l’autorité que vous me supposez. Ainsi, vendredi dernier, j’ai eu beaucoup de mal à obtenir la permission de visiter le château de Fontainebleau et on a été sur le point de me mettre à la porte, fort poliment, il est vrai, et sans Octave Feuillet (qui est le bibliothécaire de ce palais), je m’en retournais à Paris comme un simple mortel. Je vous assure, chère Demoiselle, que vous n’avez pas des choses une notion exacte.