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DE GUSTAVE FLAUBERT.

972. À ERNEST CHESNEAU·
Croisset, dimanche [juin ou juillet 1868].

Non ! mon cher ami, votre livre[1] ne contrarie en rien mes goûts, loin de là ! J’ai même été ravi de voir ce que je sens, ce que je pense, formulé d’une telle façon.

Votre morceau sur l’École anglaise est à lui seul une œuvre. Et d’abord, vous avez très bien signalé son trait saillant, l’absence de composition (si vous aviez tenu à noircir du papier, vous auriez pu faire un rapprochement entre la peinture et la littérature britanniques). Bien que j’aie lu l’ouvrage de Milsand, voilà la première fois que je trouve enfin une définition nette du préraphaélisme !

La manière dont l’absolu et le contingent doivent être mêlés dans une œuvre d’art me semble indiquée nettement page 60. Je pense comme vous. Dès qu’il y a interprétation dans l’œuvre d’un peintre, l’artiste a beau s’en défendre, il fait fonction d’idéaliste (94). Bref, on n’est idéal qu’à la condition d’être réel et on n’est vrai qu’à force de généraliser. Du reste, vous concluez fort bien, en montrant l’inanité des théories par l’exemple des deux écoles anglaise et belge arrivant à des résultats divers, bien qu’elles soient parties du même principe (page 550). La limite de la peinture (ce qu’elle peut et ce qu’elle ne peut pas) est montrée avec une évidence qui crève les

  1. Peinture, sculpture. Les Nations rivales dans l’art, etc.