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CORRESPONDANCE

727. À MADAME JULES SANDEAU.
Croisset, lundi [14 juillet 1862].

Vous devez être bien contente, maintenant que vous avez votre cher fils. Aussi, ne me suis-je pas trop pressé de vous répondre. Sa compagnie doit vous tenir lieu de tout plaisir, en admettant que vous en ayez un peu à lire mes tristes lettres.

Je suis comme le temps, sombre et sans soleil. Maintenant que je n’ai plus de travail suivi, je ne sais que devenir. Je rêvasse et je patauge au milieu d’un tas de plans et d’idées. La moindre chose que j’entrevois me semble impossible ou inepte. J’avais pris un sujet antique pour me faire passer le dégoût que m’avait inspiré la Bovary. Pas du tout ! Les choses modernes me répugnent tout autant ! L’idée de peindre des bourgeois me fait d’avance mal au cœur. Si j’avais dix ans de moins (et quelque argent de plus) j’irais en Perse ou aux Indes, par terre, pour écrire l’histoire de Cambyse ou bien celle d’Alexandre. Voilà au moins des milieux qui vous montent le bourrichon. Mais s’exalter sur des messieurs ou des dames, je n’en ai plus la force. Je lis de droite et de gauche, je dors beaucoup, je m’ennuie considérablement, et je ne trouve rien. Tel est mon état.

Vous verrez probablement un de ces jours Bouilhet. Il vous expliquera sa conduite envers Madame Plessy[1] et comment il n’a pu, jusqu’à présent, rien faire à cet endroit. Tâchez de les

  1. Mme Arnould Plessy, de la Comédie-Française.