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DE GUSTAVE FLAUBERT.

941. À MICHELET.
Croisset, mardi [12 novembre 1867].
Mon cher Maître,

Je ne sais de quelle formule me servir pour vous exprimer mon admiration.

La dernière pierre de votre gigantesque monument me semble un bloc d’or. J’en suis ébloui.

Voilà la première fois que je saisis nettement la fin du dix-huitième siècle. Jusqu’à vous je n’avais rien compris à M. de Choiseul, à Marie-Antoinette, à l’affaire du collier, etc. Je vous remercie d’avoir remis à sa place Calonne, dont l’exaltation par Louis Blanc me semblait une injustice. C’est pour cela qu’on vous aime. Vous êtes juste, vous.

Quant à votre jugement sur Rousseau, je puis dire qu’il me charme, car vous avez précisé exactement ce que j’en pensais.

Bien que je sois dans le troupeau de ses petits-fils, cet homme me déplaît. Je crois qu’il a eu une influence funeste. C’est le générateur de la démocratie envieuse et tyrannique. Les brumes de sa mélancolie ont obscurci dans les cerveaux français l’idée du droit.

Je ne relève pas tout ce qui m’a enthousiasmé dans votre volume. Les aperçus, les mots, les traits, les idées. Un tissu de merveilles.

Il ne me reste plus qu’à relire souvent ce volume, que j’ai dévoré d’un seul coup. Puis, je vais le mettre près de ses aînés dans le compar-