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CORRESPONDANCE

« L’horizon politique se rembrunit. » Personne ne pourrait dire pourquoi, mais il se rembrunit, il se noircit même. Les bourgeois ont peur de tout ! Peur de la guerre, peur des grèves d’ouvriers, peur de la mort (probable) du Prince Impérial ; c’est une panique universelle. Pour trouver un tel degré de stupidité, il faut remonter jusqu’en 1848 ! Je lis présentement beaucoup de choses sur cette époque : l’impression de bêtise que j’en retire s’ajoute à celle que me procure l’état contemporain des esprits, de sorte que j’ai sur les épaules des montagnes de crétinisme. Il y a eu des époques où la France a été prise de la danse de Saint-Guy. Je la crois, maintenant, un peu paralysée du cerveau. Tout cela, chère madame, « n’est pas rassurant pour les affaires ». Ce que tu me dis de ton amie ne me surprend nullement. Voici des lignes que je lisais hier au soir dans un fort bouquin et qui m’ont fait penser à elle :

« La vraie manière de souffrir, c’est de quitter le chemin de sa destinée. Des punitions immédiates et qui sortent elles-mêmes de l’ordre des choses atteignent tout homme qui s’écarte de cette voie, et proportionnellement au degré dont il s’en écarte. » (Jouffroy, Cours de droit naturel.) Pensée forte, pour être mise dans un album.

Je n’ai pas été à l’Exposition, ayant d’autres choses à faire ; il y a des vitrines très amusantes, quoi qu’on dise.

À toi.

Ton vieil oncle.

J’attends Monseigneur dimanche ; il restera chez moi jusqu’au mercredi suivant.