Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
CORRESPONDANCE

s’écoule. Mais comme j’en perds ! Quel rêvasseur je suis, en dépit de moi-même. Je commence à être un peu moins découragé. Quand vous me reverrez, j’aurai fait à peu près trois chapitres ; trois chapitres, pas plus. Mais j’ai cru mourir de dégoût au premier. La foi en soi-même s’use avec les années, la flamme s’éteint, les forces s’épuisent. Ce qui me désole au fond, c’est la conviction où je suis de faire une chose inutile, je veux dire contraire au but de l’Art, qui est l’exaltation vague. Or, avec les exigences scientifiques que l’on a maintenant et un sujet bourgeois, la chose me semble radicalement impossible. La beauté n’est pas compatible avec la vie moderne. Aussi est-ce la dernière fois que je m’en mêle ; j’en ai assez.

Les moines ont beau faire, le soleil n’est pas de leur côté ; car rien n’est éternel, pas même le soleil, du reste. Et nous, pauvres petits grains de poussière, infimes vibrations de l’immense mouvement, atomes perdus ! réunissons nos deux néants dans un même frisson et qu’il se continue comme l’espace ! Quelle métaphysique ! Il faut me la pardonner ; je n’en abuse guère, et puis, d’ailleurs, tout parle de l’amour !


887. À GEORGE SAND.
[Fin 1866 ou premiers jours de 1867].

Ne vous ayant pas près de moi, je vous lis ou plutôt relis. J’ai pris Consuelo, que j’avais dévoré jadis dans la Revue Indépendante.