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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Pauvre Marengo ! C’est une figure ! et que vous devriez faire quelque part. Je me demande ce que seraient ses mémoires, écrits dans ce style-là. Le mien (de style) continue à me procurer des embêtements qui ne sont pas minces. J’espère cependant, dans un mois, avoir passé l’endroit le plus vide ! Mais actuellement je suis perdu dans un désert. Enfin, à la grâce de Dieu, tant pis ! Avec quel plaisir j’abandonnerai ce genre-là pour n’y plus revenir de mes jours !

Peindre des bourgeois modernes et français me pue au nez étrangement ! Et puis, il serait peut-être temps de s’amuser un peu dans l’existence, et de prendre des sujets agréables pour l’auteur.

Je me suis mal exprimé en vous disant « qu’il ne fallait pas écrire avec son cœur ». J’ai voulu dire : ne pas mettre sa personnalité en scène. Je crois que le grand Art est scientifique et impersonnel. Il faut, par un effort d’esprit, se transporter dans les personnages, et non les attirer à soi. Voilà du moins la méthode ; ce qui arrive à dire : Tâchez d’avoir beaucoup de talent, et même de génie si vous pouvez. Quelle vanité que toutes les poétiques et toutes les critiques ! Et l’aplomb des messieurs qui en font m’épate. Oh ! Rien ne les gêne, ces cocos-là !

Avez-vous remarqué comme il y a dans l’air, quelquefois, des courants d’idées communes ! Ainsi, je viens de lire, de mon ami Du Camp, son nouveau roman : les Forces perdues. Cela ressemble par bien des côtés à celui que je fais. C’est un livre (le sien) très naïf et qui donne une idée juste des hommes de notre génération, devenus de vrais fossiles pour les jeunes gens d’aujourd’hui.