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DE GUSTAVE FLAUBERT.

la centième partie de mes idées, après des tâtonnements infinis. Pas primesautier, votre ami, non ! pas du tout ! Ainsi, voilà deux jours entiers que je tourne et retourne un paragraphe sans en venir à bout. J’en ai envie de pleurer dans des moments ! Je dois vous faire pitié ! Et à moi donc !

Quant à notre sujet de discussion (à propos de votre jeune homme), ce que vous m’écrivez dans votre dernière lettre est tellement ma manière de voir, que je l’ai non seulement mise en pratique, mais prêchée. Demandez à Théo. Entendons-nous, cependant. Les artistes (qui sont des prêtres) ne risquent rien d’être chastes, au contraire ! Mais les bourgeois, à quoi bon ? Il faut bien que certains soient dans l’humanité. Heureux même ceux qui n’en bougent !

Je ne crois pas (contrairement à vous) qu’il y ait rien à faire de bon avec le caractère de l’Artiste idéal. Ce serait un monstre. L’Art n’est pas fait pour peindre les exceptions, et puis j’éprouve une répulsion invincible à mettre sur le papier quelque chose de mon cœur. Je trouve même qu’un romancier n’a pas le droit d’exprimer son opinion sur quoi que ce soit. Est-ce que le bon Dieu l’a jamais dite, son opinion ? Voilà pourquoi j’ai pas mal de choses qui m’étouffent, que je voudrais cracher et que je ravale. À quoi bon les dire, en effet ! Le premier venu est plus intéressant que M. G. Flaubert, parce qu’il est plus général et par conséquent plus typique.

Il y a des jours, néanmoins, où je me sens au-dessous du crétinisme. J’ai maintenant un bocal de poissons rouges et ça m’amuse. Ils me tiennent compagnie pendant que je dîne. Est-ce bête de