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CORRESPONDANCE

à croire que j’ai fait fausse route dans la vie, mais étais-je libre de choisir ? Heureux les bourgeois ! Et cependant je ne voudrais pas en être un. C’est l’histoire du bon Brahmine dans les contes de Voltaire.

Tant mieux si la Littérature anglaise de Taine vous intéresse. Son ouvrage est élevé et solide, bien que j’en blâme le point de départ. Il y a autre chose dans l’Art que le milieu où il s’exerce et les antécédents physiologiques de l’ouvrier. Avec ce système-là, on explique la série, le groupe, mais jamais l’individualité, le fait spécial qui fait qu’on est celui-là. Cette méthode amène forcément à ne faire aucun cas du talent. Le chef-d’œuvre n’a plus de signification que comme document historique. Voilà radicalement l’inverse de la vieille critique de La Harpe. Autrefois, on croyait que la littérature était une chose toute personnelle et que les œuvres tombaient du ciel comme des aérolithes. Maintenant, on nie toute volonté, tout absolu. La vérité est, je crois, dans l’entre-deux.


802. À MICHELET.
Croisset près Rouen, mardi soir [novembre 1864].
Mon cher Maître,

L’exemplaire de votre Bible que vous m’avez destiné, m’est parvenu ce matin seulement. Voilà pourquoi mes remerciements sont tardifs.

Je viens de lire, d’un seul coup, en dix heures, ce merveilleux livre. J’en suis écrasé. Je crois cependant en saisir l’ensemble nettement. Quelle envergure ! Quel cercle !