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CORRESPONDANCE

707. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
Croisset, 18 janvier 1862.

Je suis bien coupable envers vous, chère Demoiselle, et je n’ai d’autre excuse que celle-ci : c’est qu’au moment de vous écrire, le soir, je suis accablé. Voilà trois mois bientôt que je suis tout seul à la campagne et que je travaille d’une manière furieuse, pour avoir fini au printemps prochain, c’est-à-dire au mois d’avril. Je compte partir pour Paris dans un mois.

Je ne sais cependant si je publierai immédiatement ou si je n’attendrai pas le mois d’octobre, à cause des Misérables du grand Hugo, dont il va paraître deux volumes le mois prochain. Cette publication colossale va durer jusqu’au mois de mai (car deux volumes doivent paraître chaque mois) et à cette époque-là commence une mauvaise saison pour les livres. Bref, je trouve un peu imprudent et impudent de me risquer à côté d’une si grande chose. Il y a des gens devant lesquels on doit s’incliner et leur dire : « Après vous, monsieur. » Victor Hugo est de ceux-là.

Ce qui n’empêche que je me hâte pour avoir fini le plus promptement possible. Je commence à être excédé de mon livre. Quant à vous, n’en soyez pas impatiente : il ne répondra, je crois, à aucun de vos instincts.

Si je ne vous écris pas, soyez sûre cependant que je pense à vous très souvent ; il me semble maintenant que nous sommes de vieux amis et