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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Connaissez-vous la Vie de Jésus du docteur Strauss ? Voila qui donne à penser et qui est substantiel ! Je vous conseille cette lecture aride, mais intéressante au plus haut degré. Quant à Mlle de la Quintinie[1]… franchement, l’Art ne doit servir de chaire à aucune doctrine sous peine de déchoir ! On fausse toujours la réalité quand on veut l’amener à une conclusion qui n’appartient qu’à Dieu seul. Et puis, est-ce avec des fictions qu’on peut parvenir à découvrir la vérité ? L’histoire, l’histoire et l’histoire naturelle ! Voilà les deux muses de l’âge moderne. C’est avec elles que l’on entrera dans des mondes nouveaux. Ne revenons pas au moyen âge. Observons, tout est là. Et après des siècles d’études il sera peut-être donné à quelqu’un de faire la synthèse. La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant ! Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. Homère, Shakespeare, Gœthe, tous les fils aînés de Dieu (comme dit Michelet) se sont bien gardés de faire autre chose que représenter. Nous voulons escalader le ciel ; eh bien, élargissons d’abord notre esprit et notre cœur ! Hommes d’aspirations célestes, nous sommes tous enfoncés dans les fanges de la terre jusqu’au cou. La barbarie du moyen âge nous étreint encore par mille préjugés, mille coutumes. La meilleure société de Paris en est encore à « re-

  1. De George Sand.