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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Quant à mes goûts personnels, ils s’assouvissent mieux, tu le sais, dans les livres de descriptions et d’analyse que dans ceux de drame ; mais ce n’est pas là ce que tu as voulu faire, point auquel le critique doit toujours se placer ; et d’ailleurs ces sympathies toutes nerveuses se trouvent amplement satisfaites dans la contemplation de tes caractères, qui sont fort remarquables. 1o  Saint-Bertrand est une création originale et vraie. Il devient un indigne gredin par des gradations adroitement ménagées. Tu n’en as pas fait un monstre, un personnage de tragédie ; c’est un homme, et un homme comme il y en a plusieurs. La gracieuse figure de Barberine lui fait un pendant exquis. On l’aime cette Barberine, ainsi que la bonne comtesse Wanda et que Mme Mélédine qui me fait b… atrocement. Comme je l’aurais g… avec plaisir sur son divan dans la petite maison de Bade ! Gaskell est bon et pris sur nature ; j’ai reconnu mon ancien ami Guillaume. Quant à M. de Bugny et Éveline, ils sont moins rares, et, en leur qualité de gens vertueux, moins drôles. Mais à propos de vertu, mon bon, sais-tu que ton livre est moral, très moral, abjectement honnête ? Quels imbéciles que les critiques ! Si je voulais te démolir, c’est par là que je t’attaquerais ; car tous les Saint-Bertrand ne sont pas punis, tous les domestiques n’ont pas le dévouement d’Eytmin, beaucoup de Barberines n’auraient pas mieux demandé que d’aider au confortable du ménage en prêtant leur cul à MM. les amateurs. Bref, ceci prouve que, pour arriver à édifier le lecteur par la seule peinture de la vie moderne, il faut avoir recours au romanesque. Il est vrai que tu l’as traité, le