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DE GUSTAVE FLAUBERT.

a encore de fortes contusions à la figure. Les sabords étaient défoncés, le bateau sombrait, les lames entraient partout. C’est toute une histoire. Je vais être pendant six mois assassiné de narrations maritimes.

Je n’ai pu dormir la nuit dernière à cause d’un article que j’avais lu le soir dans la Revue de Paris. J’en étais malade de dégoût, de tristesse et de désespoir humanitaire. C’était un extrait d’un roman américain intitulé « Hot-Corn », qui se tire à des centaines de mille d’exemplaires, qui enfonce l’Oncle Tom, qui… qui… etc. Sais-tu quelle est l’idée du livre ? L’établissement sur une plus grande échelle des sociétés de tempérance, l’extirpation de l’ivrognerie, le bannissement du gin, le tout en style lyrique à la Jules Janin dans ses grands moments, et avec des anecdotes !!!

L’humanité tourne à tout cela. Nous aurons beau dire, il faut se boucher les yeux et continuer son œuvre. Oui, triste ! triste ! On ne devrait jamais rien lire de tout ce qui se publie ; à quoi bon ?

N’oublie pas de m’apporter le cahier des pièces détachées.

Je te régalerai des statuts d’une société religieuse dont on m’a proposé de faire partie. C’est joli. On doit dénoncer l’immoralité de ses collègues, et on est forcé d’assister à leur enterrement sous peine d’une amende de cinquante centimes. Tu me feras penser aussi à te montrer deux bonnes lettres de femme comme psychologie.

Adieu, pauvre cher vieux. Ne t’intoxique pas trop avec les alcools en route, et arrive vite.