Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
CORRESPONDANCE

plus propre qu’une simple causerie, qu’une confidence. Non ! non ! la Poésie ne doit pas être l’écume du cœur. Cela n’est ni sérieux, ni bien. Ton enfant mérite mieux que d’être montrée en vers sous sa couverture[1], que d’être appelée ange, etc. Tout cela est de la littérature de romance plus ou moins bien écrite, mais qui pêche par la même base faible. Quand on a fait la Paysanne et quelques pièces de ton recueil : « Ce qui est [dans le cœur des femmes] », on ne peut plus se permettre ces fantaisies-là, même pour rire. La personnalité sentimentale sera ce qui plus tard fera passer pour puérile et un peu niaise une bonne partie de la littérature contemporaine. Que de sentiment, que de sentiment, que de tendresses, que de larmes ! Il n’y aura jamais eu de si braves gens. Il faut avoir avant tout du sang dans les phrases et non de la lymphe, et quand je dis du sang, c’est du cœur. Il faut que cela batte, que cela palpite, que cela émeuve. Il faut faire s’aimer les arbres et tressaillir les granits. On peut mettre un immense amour dans l’histoire d’un brin d’herbe. La fable des deux pigeons m’a toujours plus ému que tout Lamartine, et ce n’est que le sujet. Mais si La Fontaine avait eu dépensé d’abord sa faculté aimante dans l’exposition de ses sentiments personnels, lui en serait-il resté suffisamment pour peindre l’amitié de deux oiseaux ? Prenons garde de dépenser en petite monnaie nos pièces d’or.

Ton reproche est d’autant plus singulier que je fais un livre uniquement consacré à la peinture

  1. Voir lettre no 451, tome III.