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DE GUSTAVE FLAUBERT.

694. À ERNEST FEYDEAU.
Croisset, samedi soir [début octobre 1861].

L’histoire de Schanfara, « poète auvergnat »[1], m’a délecté ! C’est beau ! très beau ! exquis ! sublime ! Quel tas de brutes ! Mais pourquoi s’en occuper ? on ne doit pas admettre que de tels imbéciles existent.

Tu as, mon bonhomme, le sort de tous. Cite-moi l’œuvre et l’écrivain de quelque valeur qui n’ait pas été déchiré. Relis l’histoire et remercie les dieux. Quant aux conseils de Sainte-Beuve, ils peuvent être bons pour d’autres. On n’a de chance qu’en suivant son tempérament et en l’exagérant. Des concessions, monsieur ? Mais ce sont les concessions qui ont conduit Louis XVI à l’échafaud.

Ce qui n’empêche pas que je préfère, pour moi, ne jamais me mêler de ces messieurs ni directement, ni indirectement. La recherche de l’art en soi demande trop de temps pour qu’on en perde même un peu à repousser les roquets qui vous mordent les jambes ; il faut imiter les fakirs qui passent leur vie la tête levée vers le soleil, tandis que la vermine leur parcourt le corps.

J’ai lu Jessie. Rien ne ressemble plus à un chef-

  1. Allusion à l’article de E. Montégut sur Sylvie, dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1861. Le héros du roman, Anselme Schanfara, y est décrit comme « un jeune poète néo-romantique de l’an 1860… un nom malheureux qui semble formé d’un mélange d’un nom auvergnat et d’un nom persan ».