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DE GUSTAVE FLAUBERT.

sera plus permis d’écrire sur quoi que ce soit sans, auparavant, l’aimer. Vous avez inventé dans la critique la tendresse, chose féconde.

Je suis né dans un hôpital et j’y ai vécu un quart de siècle ; cela m’a peut-être servi à vous sentir, en beaucoup d’endroits, plus que littérairement. Et pour employer une expression du peuple, que vous comprendrez, je vous aime parce que vous êtes un brave, vous avez la Bonté (la quatrième des Grâces), et en même temps, plus que personne, l’invincible séduction des forts, ce charme sans nom qui est un excès de la puissance.

Puis voilà que vous descendez dans la nature elle-même, et que le battement de votre cœur vibre jusque dans les éléments. Quel admirable livre que la Mer ! D’abord je l’ai lu tout d’une haleine, puis je l’ai relu deux fois, et je le garde sur ma table, pour longtemps.

C’est une œuvre splendide d’un bout à l’autre, qui a l’air simple et qui est sublime. Quelle description que celle de la tempête d’octobre 1859 ? Quel chapitre que celui de la mer de lait, avec cette phrase exquise à la fin : « De ses caresses assidues… la tendresse visible du sein de la femme… » ! Vous nous donnez des rêveries immenses, avec l’atome, la fleur de sang, les faiseurs de mondes ! Il faudrait tout citer ! Vous faites aimer les phoques, on se trouve ému et on a de la reconnaissance pour vous. Quelle merveille d’art et de sentiment que votre page sur les perles (196-197), les mers polaires, la baleine ; « L’homme et l’ours fuyaient épouvantés de leurs soupirs… »

On dirait que vous avez fait le tour du monde sur l’aile des condors, et que vous revenez d’un