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CORRESPONDANCE

658. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
Croisset, 8 septembre 1860.

J’ai reçu, mardi matin votre lettre du 1er septembre. Elle m’a désolé en y voyant l’expression de tous vos chagrins. Par-dessus vos souffrances intimes, des malheurs extérieurs vous assiègent, puisque vous vous apercevez de l’ingratitude et de l’égoïsme de vos obligés. Il faut vous dire que cela est toujours ; mince consolation, il est vrai. Mais la conviction que la pluie mouille et que les serpents à sonnettes sont dangereux doit contribuer à nous faire supporter ces misères. Pourquoi cela est-il ? Ici, nous empiétons sur Dieu ! Tâchons d’oublier le mal, tournons-nous du côté du soleil et des bons. Si un mauvais cœur vous blesse, tâchez de vous en rappeler un noble et noyez-vous dans son souvenir. Mais la sympathie des idées vous manque absolument, me direz-vous. C’est pourquoi vous auriez dû habiter Paris. On trouve toujours dans cette ville-là des gens à qui causer. Vous n’étiez pas faite pour la province. Dans un autre milieu, j’en ai la conviction, vous eussiez moins souffert. Chaque âme a une atmosphère différente. Vous devez horriblement souffrir de tous les cancans, médisances, calomnies, jalousies et autres petitesses qui composent exclusivement la vie des bourgeois dans les petites villes. Tout cela existe bien à Paris, mais d’une autre manière, d’une manière moins directe et moins irritante.

Il en est temps encore, prenez une bonne réso-