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CORRESPONDANCE

Nous avons, nous deux Achille, causé tantôt de ce brave Leplay. Il l’avait rencontré plusieurs fois dans les rues de Rouen, se dirigeant vers la préfecture pour solliciter la croix ! Et Achille connaissait ses titres !! Je devais aller le voir le jour même où il est mort.

Je ne travaille pas trop mal pour le moment et je vois enfin la fin de mon infinissable chapitre. Ce sera avant une quinzaine. Il me faudra bien encore une huitaine de jours pour repolir le tout, après quoi j’allumerai un feu de joie, car j’ai cru un moment que j’y crèverais.

Oh ! Comme il faut se monter le bourrichon pour faire de la littérature ! Et que bien heureux sont les épiciers !

Nous avons perdu un ami en la personne de Fessard, qui, avant-hier, a fait son plongeon dans l’éternité. Nous ne prendrons plus de petits verres ensemble. J’ai des souvenirs charmants d’après-midi passés à son école, sous la petite avenue de peupliers, nu en caleçon, avec l’odeur des filets et du goudron… la vue des voiles… je ne sais quoi qui m’attendrit.

Autre mort de mes camarades de collège (excellent bougre), Marc Arnaudtizon, tué d’un coup de soleil à Manille, patrie des cigares. J’ai appris ce soir ces deux décès, et j’ai encore dans l’oreille la voix de Fessard et la voix d’Arnaudtizon ! Tout cela fait faire des réflexions philosophiques, comme dirait Fellacher.

Comme c’est beau, la mère de Lao-Tsen qui a conçu son fils rien qu’en regardant filer une étoile !