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DE GUSTAVE FLAUBERT.

1861. — Si je vais si lentement, c’est qu’un livre est pour moi une manière spéciale de vivre. À propos d’un mot ou d’une idée, je fais des recherches, je me perds dans des lectures et dans des rêveries sans fin. Ainsi, cet été, j’ai lu de la médecine, et cætera.

Il vient de paraître un livre que je ne connais pas, mais qui doit vous intéresser, j’en suis presque sûr : les Lettres d’Éverard, par Lanfrey. — Vous me parlez de J. Simon, je ne le connais ni directement, ni indirectement.

Je crois que toutes vos douleurs morales viennent surtout de l’habitude où vous êtes de chercher la cause. Il faut tout accepter et se résigner à ne pas conclure. Remarquez que les sciences n’ont fait de progrès que du moment où elles ont mis de côté cette idée de cause. Le moyen âge a passé son temps à rechercher ce que c’était que la substance, Dieu, le mouvement, l’infini, et il n’a rien trouvé, parce qu’il était intéressé, égoïste, pratique dans la recherche de la vérité. (Ceci doit être un enseignement pour les individus.) — « Qu’est-ce que ton devoir ? L’exigence de chaque jour. » Ceci est un mot de Goethe. Notre devoir est de vivre (noblement, cela va sans dire), mais rien de plus. Or, je ne connais rien de plus noble que la contemplation ardente des choses de ce monde. La science deviendra une foi, j’en suis sûr. Mais, pour cela, il faut sortir des vieilles habitudes scolastiques : ne pas faire ces divisions de la forme et du fond, de l’âme et du corps, qui ne mènent à rien ; — il n’y a que des faits et des ensembles dans l’Univers. Nous ne faisons que de naître. Nous marchons encore à