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CORRESPONDANCE

624. À MADAME JULES SANDEAU.
Croisset, jeudi [24 novembre 1859].

C’est moi !

Comment allez-vous ? Il m’ennuie de ne pas avoir de vos nouvelles ! Où êtes-vous, maintenant, et comment se passe votre vie ? Écrivez-moi donc un peu.

Quant à moi, je n’ai absolument rien à vous dire, si ce n’est que dans un mois j’espère me précipiter rue du Cherche-Midi. Mes jours s’écoulent dans une monotonie et une régularité monacales. Je suis seul maintenant — (ma mère est à Paris). Je ne vois personne et je n’entends rien. De temps à autre, un remorqueur passe sous mes fenêtres. La Seine murmure, les grands arbres sans feuilles se balancent, et pendant la nuit le vent bruit. Voilà tout. Je suis perdu dans des rêveries et des lectures sans fin ni fond. J’ai fait, cet été, de la médecine, de l’art militaire, etc., un tas de choses fort inutiles. Une idée en amène une autre, et je me laisse aller au courant sans trop songer à ma besogne. Voilà pourquoi je suis si longtemps à pondre un livre. « Mon dernier petit » a cependant avancé. Maintenant, j’en vois la fin. Pourvu qu’il vous plaise ! Car je tiens beaucoup à votre estime littéraire. Comment accepterez-vous ce tissu d’extravagances ? En tout cas, la tentative est honnête. J’ai fait ce que j’ai cru bien. Or, nous ne valons quelque chose que par nos aspirations.

Je suis en ce moment un peu troublé par l’idée d’un voyage en Chine. Il me serait facile de partir