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CORRESPONDANCE

toute la journée et qui se couche le soir, ou plutôt le matin, éreinté comme un casseur de cailloux.

Dans votre dernière lettre du 23 juin, vous me disiez que vous deviez aller à Nantes. Avez-vous fait ce voyage et vous en êtes-vous bien trouvée ? Non, n’est-ce pas ? Quand on a une douleur, on la porte avec soi partout. Les plaies ne se déposent pas comme les vêtements, et celles que nous aimons, celles qu’on gratte toujours et qu’on ravive ne guérissent jamais.

Je ne puis rien faire pour vous que vous plaindre, pauvre âme souffrante ! Tout ce que je vous dirais, vous le savez ; tous les conseils que je vous donnerais, on vous les donne.

Mais pourquoi n’êtes-vous pas plus obéissante et n’essayez-vous pas ? J’ai vu des personnes dans un état déplorable finir par se trouver mieux à force de recevoir du monde, d’entendre de la musique, d’aller au théâtre, etc. Venez donc un hiver à Paris et prenez avec vous une jeune fille gaie qui vous mènera partout. Le spectacle de la gaieté rend heureux quand on a le cœur bon. Faites l’éducation d’un enfant intelligent, vous vous amuserez à voir son esprit se développer.

Pendant que vous étiez dans vos souffrances, j’étais dans les miennes ; j’ai été physiquement malade le mois dernier, par suite d’une longue irritation nerveuse due à des inquiétudes et tracas domestiques. Les difficultés de mon travail y avaient peut-être aussi contribué. J’écris un gros livre ; il est lourd et il me pèse quelquefois.

Enfin, me voilà bientôt à moitié ; j’ai presque écrit six chapitres ! Il m’en reste encore sept. Vous voyez que j’ai encore de la besogne.