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DE GUSTAVE FLAUBERT.

catesse avec cette feuille (tout cela entre nous). Ils m’ont refusé un service analogue que je leur demandais et auquel je tenais beaucoup. Voilà la vérité.

Combien votre lettre m’a ému avec la description de votre vieille maison pleine de tableaux de famille. Comme cela fait rêver, les vieux portraits ! Je vous aime pour cet arbre, ce noyer que vous aimez. Pauvre chose que nous ! Comme nous nous attachons aux choses ! C’est surtout quand on voyage que l’on sent profondément la mélancolie de la matière, qui n’est que celle de notre âme projetée sur les objets. Il m’est arrivé d’avoir des larmes aux yeux en quittant tel paysage. Pourquoi ?

C’est une triste histoire que celle de cette jeune fille, votre parente, devenue folle par suite d’idées religieuses, mais c’est une histoire commune. Il faut avoir le tempérament robuste pour monter sur les cimes du mysticisme sans y perdre la tête. Et puis, il y a dans tout cela (chez les femmes surtout) des questions de tempérament qui compliquent la douleur. Ne voyez-vous pas qu’elles sont toutes amoureuses d’Adonis ? C’est l’éternel époux qu’elles demandent. Ascétiques ou libidineuses, elles rêvent l’amour, le grand amour ; et pour les guérir (momentanément du moins) ce n’est pas une idée qu’il leur faut, mais un fait, un homme, un enfant, un amant. Cela vous paraît cynique. Mais ce n’est pas moi qui ai inventé la nature humaine. Je suis convaincu que les appétits matériels les plus furieux se formulent insciemment par des élans d’idéalisme, de même que les extravagances charnelles les plus immondes sont engen-