Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
CORRESPONDANCE

que je vous dise combien j’ai été embêté depuis un an.

Après la publication de mon roman, je me suis remis à une grande œuvre de jeunesse intitulée : La Tentation de Saint Antoine. Après six mois de travail, il a fallu me résigner à la remettre dans le carton. Ce livre m’eût fait avoir, par le temps qui court, des désagréments infinis.

Sollicité alors par le journal la Presse, je lui ai promis une étude antique et, avant d’en savoir le premier mot, au bout de huit jours, on me talonnait déjà en me demandant : « Est-ce fini ? ».

Les lectures et le travail préalable m’ont demandé six à huit mois. Je m’y suis mis enfin il y a un an environ. Au bout de mon premier chapitre, je me suis aperçu qu’il me fallait absolument aller à Tunis. L’hiver dernier s’est passé dans les hésitations, tourments et dérangements infinis. Au mois d’avril, je suis parti pour l’Afrique où je suis resté deux mois. J’ai été seul et à cheval de Tunis à Constantine ; enfin, au mois de juillet, j’étais revenu ici où j’ai démoli tout ce que j’avais fait. Bref, depuis le mois de septembre seulement, je travaille à ce livre annoncé depuis deux ans ; il me couvrira de ridicule ou me placera très haut ; c’est une tentative ambitieuse s’il en fut.

J’ai été très souffrant cet automne ; j’ai eu des maux d’estomac épouvantables. C’est passé maintenant. Pour aller un peu plus vite, je suis resté à la campagne ; ma mère est à Paris et depuis trois mois je vis complètement seul, me couchant à quatre heures du matin et me levant à midi. Enfin, je ne vis pas, j’escamote l’existence, c’est le seul moyen de la supporter. Au jour de l’an, j’ai bien