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CORRESPONDANCE

600. À EUGÈNE DELATTRE.
Croisset, 10 janvier 1859.
Mon cher ami,

Si je ne t’ai pas remercié plus tôt de ton volume[1], c’est que je voulais le relire. La seconde lecture m’a confirmé dans la bonne opinion que j’en avais conçue d’abord. Mais avant tout, je te remercie des gracieusetés à mon endroit ; tu chauffes les amis, tu es un brave !

J’ai trouvé l’introduction d’un très remarquable style. Quant à l’ouvrage, il me paraît méthodique, clair, net et amusant, chose qui semblait difficile en un tel sujet. La partie anecdotique est bien fondue avec la partie technique ; en somme, cela me semble complètement réussi, et je serais fort étonné si ce bouquin n’était très lu. Ce que j’aime, c’est qu’on y sent partout la protestation de l’Individu contre le Monopole, contre le Pouvoir. (Il y a si peu de gens qui aiment la liberté par le temps qui court !) Le sentiment du Juste éclate à chaque ligne ; cela fait aimer l’auteur.

Voilà, en gros, tout ce que j’en pense. Quant aux détails, ce livre suggère une foule d’idées. Il sera dans quelques années bien curieux à consulter comme histoire. La conclusion en sera que nous étions encore en pleine barbarie ; nous marchons à quatre pattes et nous broutons de l’herbe.

La société est une vraie forêt de Bondy. On a dit que nous dansions sur un volcan ; la comparaison est emphatique ! Pas du tout ! Nous trépi-

  1. Tribulations des voyageurs et expéditeurs en chemin de fer.