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DE GUSTAVE FLAUBERT.

pure, une large part, car vous ne sauriez croire l’émerveillement sentimental que m’ont causé vos premières lettres. Je vous dois de m’être senti, à cause de vous, à la fois meilleur et plus intelligent. Il faudra pourtant que nous nous serrions la main et que je vous baise au front !

Voici ce qui s’est passé depuis ma dernière lettre :

J’ai été à Paris pendant dix jours, j’ai assisté et coopéré aux dernières répétitions d’Hélène Peyron. C’est a la fois une très belle œuvre et un grand succès. Les visites, les journaux, etc., tout cela m’a fort occupé, et je suis revenu ici, comme à mon ordinaire, brisé physiquement ; et quant au moral, dégoûté de toute cette cuisine. Je me suis remis à Salammbô avec fureur.

Ma mère est partie pour Paris, et, depuis un mois, je suis complètement seul. Je commence le troisième chapitre, le livre en aura douze ! Vous Voyez ce qui me reste à faire ! J’ai jeté au feu la préface, à laquelle j’avais travaillé pendant deux mois cet été. Je commence enfin à m’amuser dans mon œuvre. Tous les jours je me lève à midi et je me couche à quatre heures du matin. Un ours blanc n’est pas plus solitaire et un dieu n’est pas plus calme. Il était temps ! Je ne pense plus qu’à Carthage et c’est ce qu’il faut. Un livre n’a jamais été pour moi qu’une manière de vivre dans un milieu quelconque. Voilà ce qui explique mes hésitations, mes angoisses et ma lenteur. Je ne retournerai à Paris que vers la fin de février. D’ici là, vous verrez dans la Revue Contemporaine un roman de mon ami Feydeau qui m’est dédié et que je vous engage à lire.