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CORRESPONDANCE

Pourquoi tiens-tu à avoir fini pour la fin de cette année ? Qui te presse ? Tu as tort, mon bon. On fait clair, quand on fait vite.

Adieu, mon vieux, je t’embrasse et à bientôt.


590. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
[Rouen, 31 octobre 1858.]

Vous devez me croire mort, chère Demoiselle. J’ai été, il est vrai, si souffrant tous ces temps-ci, que je remettais de jour en jour à vous écrire. La maladie noire m’avait repris ; j’éprouvais des maux d’estomac atroces qui m’ôtaient toute énergie ; c’est ce maudit Carthage qui en était cause. Enfin, à force d’y songer et de me désespérer, je commence à entrevoir le vrai, et j’ai maintenant bon espoir, jusqu’à un découragement nouveau. Personne, depuis qu’il existe des plumes, n’a tant souffert que moi par elles. Quels poignards ! Et comme on se laboure le cœur avec ces petits outils-là !

J’ai eu une fausse joie. J’avais cru que Charles-Edmond, le directeur du feuilleton de la Presse, nommé bibliothécaire du ministère de l’Algérie, était sorti du journal ; je me regardais comme dégagé de ma parole, et la publication indéfiniment ajournée ; car l’idée de l’impression m’est odieuse et me paralyse. Pour que je travaille bien, il faut que personne ne me regarde ; du moment que je pense au public, je suis perdu. La littérature m’a amusé, m’a charmé, tant que j’en ai fait pour moi seul.