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DE GUSTAVE FLAUBERT.

dernière fois. L’histoire de Mlle Agathe[1] m’a navré ! Pauvre âme ! Comme elle a dû souffrir ! Vous devriez écrire cela, vous qui cherchez des sujets de travail. Vous verriez quel soulagement se ferait en votre cœur, si vous tâchiez de peindre celui des autres.

Le conte que j’ai reçu de vous au mois d’avril n’a pas été remis à la Presse, parce qu’il m’est arrivé la veille ou l’avant-veille de mon départ. Il est resté à Paris dans mon tiroir ; je sais d’ailleurs qu’on le refuserait à cause du sujet, qui ne convient pas aux exigences du journal. J’essayerai, cependant.

Pourquoi ne travaillez-vous pas davantage ? Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’Art cause une longue ivresse et il est inépuisable. C’est de penser à soi qui rend malheureux.

J’ai été bien impressionné par le massacre de Djedda et je le suis encore par tout ce qui passe en Orient. Cela me paraît extrêmement grave. C’est le commencement de la guerre religieuse. Car il faut que cette question se vide ; on la passe sous silence et au fond c’est la seule dont on se soucie. La philosophie ne peut pas continuer à se taire ou à faire des périphrases. Tout cela se videra par l’épée, vous verrez.

Il me semble que les gouvernements sont idiots

  1. Mlle Agathe, une amie de Mlle Chantepie, jeune fille très romanesque, ruinée par un fiancé indélicat, martyrisée, puis abandonnée par son père, et qui était morte trois mois auparavant. Mlle de Chantepie avait longuement raconté son histoire à Flaubert dans sa lettre du 17 juillet. (Note de René Descharme, Édition Santandréa.)