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DE GUSTAVE FLAUBERT.

En avez-vous essayé ? Prenez donc un parti ! Ne soyez pas lâche envers vous ! Mais non, vous caressez votre douleur comme un petit enfant chéri que l’on allaite et qui vous mord la mamelle.

J’ai passé par là et j’ai manqué en mourir. Je suis un grand docteur en mélancolie. Vous pouvez me croire. Encore maintenant j’ai mes jours d’affaissement et même de désespérance. Mais je me secoue comme un homme mouillé et je m’approche de mon art qui me réchauffe. Faites comme moi, lisez, écrivez et surtout ne pensez pas à votre guenille.

Si je vous parle tant de volonté, c’est que je suis sûr que cela seul vous manque. Ayez un idéal de vous-même et conformez-y votre personne.

J’ai songé à vous quelquefois, là-bas, sur la plage d’Afrique, où je me suis diverti dans un tas de songeries historiques et dans la méditation du livre que je vais faire. J’ai bien humé le vent, bien contemplé le ciel, les montagnes et les flots. J’en avais besoin ! J’étouffais, depuis six ans que je suis revenu d’Orient.

J’ai visité à fond la campagne de Tunis et les ruines de Carthage, j’ai traversé la Régence de l’est à l’ouest pour rentrer en Algérie par la frontière de Kheff, et j’ai traversé la partie Orientale de la province de Constantine jusqu’à Philippeville, où je me suis rembarqué. J’ai toujours été seul, bien portant, à cheval, et d’humeur gaie.

Et maintenant, tout ce que j’avais fait de mon roman est à refaire ; je m’étais complètement trompé. Ainsi, voilà un peu plus d’un an que cette idée m’a pris. J’y ai travaillé depuis presque sans relâche et j’en suis encore au début. C’est quelque