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CORRESPONDANCE

spécialité, et ils confondent toujours l’accessoire et le principal, le galon avec la coupe. Un grand tailleur serait un artiste, comme au XVIe siècle les orfèvres étaient artistes. Mais la médiocrité s’infiltre partout, les pierres même deviennent bêtes, et les grandes routes sont stupides. Dussions-nous y périr (et nous y périrons, n’importe), il faut par tous les moyens possibles faire barre au flot de merde qui nous envahit. Élançons-nous dans l’idéal, puisque nous n’avons pas le moyen de loger dans le marbre et dans la pourpre, d’avoir des divans en plumes de colibris, des tapis en peau de cygne, des fauteuils d’ébène, des parquets d’écaille, des candélabres d’or massif, ou bien des lampes creusées dans l’émeraude. Gueulons donc contre les gants de bourre de soie, contre les fauteuils de bureau, contre le mackintosh, contre les caléfacteurs économiques, contre les fausses étoffes, contre le faux luxe, contre le faux orgueil ! L’industrialisme a développé le laid dans des proportions gigantesques ! Combien de braves gens qui, il y a un siècle, eussent parfaitement vécu sans Beaux Arts, et à qui il faut maintenant de petites statuettes, de petite musique et de petite littérature ! Que l’on réfléchisse seulement quelle effroyable propagation de mauvais dessins ne doit pas faire la lithographie ! Et quelles belles notions un peuple en retire, quant aux formes humaines ! Le bon marché, d’autre part, a rendu le vrai luxe fabuleux. Qui est-ce qui consent maintenant à acheter une bonne montre (cela coûte 1 200 francs) ? Nous sommes tous des farceurs et des charlatans. Pose, pose et blague partout ! La crinoline a dévoré les fesses, notre siècle