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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Kheff (à trente lieues de Tunis) et de me promener aux environs de Carthage dans un rayon d’une vingtaine de lieues pour connaître à fond les paysages que je prétends décrire. Mon plan est fait et je suis au tiers du second chapitre. Le livre en aura quinze. Vous voyez que je suis bien peu avancé. En admettant toutes les chances, je ne puis avoir fini avant deux ans.

Permettez-moi de vous dire que j’ai eu un moment de gaieté ce matin, en lisant une phrase de votre lettre. Moi, « un homme du boulevard, un homme à la mode, recherché » ! Je vous jure qu’il n’en est rien du tout, et si vous me voyiez, vous en seriez bien vite convaincue. Je suis au contraire ce qu’on appelle un ours. Je vis comme un moine ; quelquefois (même à Paris) je reste huit jours sans sortir. Je suis en bonnes relations avec beaucoup d’artistes, mais je n’en fréquente qu’un petit nombre. Voilà quatre ans que je n’ai mis le pied à l’Opéra. J’avais l’année dernière mes entrées à l’Opéra-Comique où je n’ai pas été une fois. La même faveur m’est accordée cet hiver à la Porte-Saint-Martin, et je n’ai pas encore usé de la permission. Quant à ce qu’on nomme le monde, jamais je n’y vais. Je ne sais ni danser, ni valser, ni jouer à aucun jeu de cartes, ni même faire la conversation dans un salon, car tout ce qu’on y débite me semble inepte ! Qui diable a pu vous renseigner si mal ?

Je ne connais sur la guerre de Trente-Ans que l’histoire de Schiller. Mais je verrai cette semaine mon ami Chéruel, qui est professeur d’histoire à la Sorbonne ; je ferai votre commission. On a publié dans les Manuels Roret le Manuel du bibliophile.