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CORRESPONDANCE

Lisez de l’histoire, l’ancienne surtout. Astreignez-vous à un travail régulier et fatigant. La vie est une chose tellement hideuse que le seul moyen de la supporter, c’est de l’éviter. Et on l’évite en vivant dans l’Art, dans la recherche incessante du Vrai rendu par le Beau. Lisez les grands maîtres en tâchant de saisir leur procédé, de vous rapprocher de leur âme, et vous sortirez de cette étude avec des éblouissements qui vous rendront joyeuse. Vous serez comme Moïse en descendant du Sinaï. Il avait des rayons autour de la face, pour avoir contemplé Dieu.

Que parlez-vous de remords, de faute, d’appréhensions vagues et de confession ? Laissez tout cela, pauvre âme ! par amour de vous. Puisque vous vous sentez la conscience entièrement pure, vous pouvez vous poser devant l’éternel et dire : « Me voilà ». Que craint-on quand on n’est pas coupable ? Et de quoi les hommes peuvent-ils être coupables ? insuffisants que nous sommes, pour le mal comme pour le bien ! Toutes vos douleurs viennent de l’excès de la pensée oisive. Elle était vorace et, n’ayant point de pâture extérieure, elle s’est rejetée sur elle-même et s’est dévorée jusqu’à la moelle. Il faut la refaire, l’engraisser et empêcher surtout qu’elle ne vagabonde. Je prends un exemple : vous vous préoccupez beaucoup des injustices de ce monde, de socialisme et de politique. Soit. Eh ! bien, lisez d’abord tous ceux qui ont eu les mêmes aspirations que vous. Fouillez les utopistes et les rêveurs secs. — Et puis, avant de vous permettre une opinion définitive, il vous faudra étudier une science assez nouvelle, dont on parle beaucoup et que l’on cultive peu, je veux