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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ser. À la grâce de Dieu ! Je n’y comprends plus rien ! Cela se finira quand cela voudra, dussé-je mourir dessus d’ennui et d’impatience, ce qui m’arriverait peut-être, sans la rage qui me soutient. D’ici là, j’irai te voir tous les deux mois, comme je te l’ai promis.

Enfin, pauvre chère Louise, veux-tu que je t’ouvre le fond de ma pensée, ou plutôt que j’ouvre le fond de ton cœur ? Je crois que ton amour chancelle. Les mécontentements, les souffrances que je te donne n’ont point d’autre cause, car tel je suis, tel j’ai été toujours ! Mais maintenant, tu m’aperçois mieux, et tu me juges raisonnablement, peut-être. Je n’en sais rien. Cependant, quand on aime complètement, on aime ce que l’on aime tel qu’il est, avec ses défauts et ses monstruosités ; on adore jusqu’à la gale, on chérit la bosse, et l’on aspire avec délices l’haleine qui vous empoisonne. Il en est de même au moral. Or je suis difforme, infâme, égoïste, etc. Sais-tu qu’on finira par me rendre insupportable d’orgueil, à toujours me blâmer comme on le fait ? Je crois qu’il n’y a pas un mortel sur la terre qui soit moins approuvé que moi, mais je ne changerai pas. Je ne me réformerai pas. J’ai déjà tant gratté, corrigé, annihilé ou bâillonné de choses en moi que j’en suis las. Tout a un terme, et je me trouve assez grand garçon maintenant pour me considérer comme éduqué. Il faut songer à autre chose. J’étais né avec tous les vices. J’en ai supprimé radicalement plusieurs, et je n’ai donné aux autres qu’une pâture légère. Les martyres que j’ai subis dans ce manège psychologique, Dieu seul les sait, mais actuellement j’y renonce. C’est