Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
CORRESPONDANCE

La Revue de Paris du 1er août m’a annoncé, mais incomplètement, en écrivant mon nom sans L. « Madame Bovary (mœurs de province), par Gustave Faubert ». C’est le nom d’un épicier de la rue Richelieu, en face le Théâtre Français. Ce début ne me paraît pas heureux ! Qu’en dis-tu ? Je ne suis pas encore paru que l’on m’écorche.

Je t’avertirai quand il faudra que tu ailles chez le jeune Du Camp, ce sera vers le 16 ou le 18. Je ne suis pas dénué de tout pressentiment. Ce sacré « Faubert » m’embête beaucoup plus qu’il ne me révolte.

Je t’envoie un « morceau » dans le genre léger que je te prie de humer délicatement. Tu ne le perdras pas, ça peut servir comme modèle quelque part. Je trouve qu’un semblable fragment peint à la fois l’homme, le pays, la race, et tout un siècle ! Comment la bêtise peut-elle arriver à ce point de délire et le vide à tant de pesanteur !

Je suis gêné en ce moment par la quantité de moustiques et de papillons qui tournent autour de ma lampe, et « l’horizon retentit » sous les trombones et la grosse caisse, bien qu’il soit une heure de nuit. C’est un bastringue à Quevilly. On danse avec acharnement. Comme on doit suer !

J’ai fait (vu le beau temps) descendre dans le jardin les affaires que j’ai rapportées de Nubie. Mon crocodile embaumé se rafraîchit maintenant sur le gazon. Il a revu tantôt le soleil, pour la première fois peut-être depuis trois mille ans ? Pauvre vieux ! La musique qui sonne et crie de l’autre côté lui rappelle-t-elle les fêtes de Bubastis ? Il y rêve, peut-être, dans son bitume ?