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CORRESPONDANCE

que j’ai peur maintenant. Pourtant, en me mettant à ma table pour t’écrire, la vue du papier blanc m’a calmé. Depuis un mois, du reste, depuis le jour du débarquement, je suis dans un singulier état d’exaltation ou plutôt de vibration. À la moindre idée qui va me venir, j’éprouve quelque chose de cet effet singulier que l’on ressent aux ongles en passant auprès d’une harpe.

Quel sacré livre ! Il me fait mal ; comme je le sens !

Autre rapprochement : ma mère m’a montré (elle l’a découvert hier) dans le Médecin de campagne de Balzac, une même scène de ma Bovary : une visite chez une nourrice (je n’avais jamais lu ce livre, pas plus que L[ouis] L[ambert]). Ce sont mêmes détails, mêmes effets, même intention, à croire que j’ai copié, si ma page n’était infiniment mieux écrite, sans me vanter. Si Du Camp savait tout cela, il dirait que je me compare à Balzac, comme à Gœthe. Autrefois, j’étais ennuyé des gens qui trouvaient que je ressemblais à M. un tel, à M. un tel, etc. ; maintenant c’est pis, c’est mon âme. Je la retrouve partout, tout me la renvoie. Pourquoi donc ?

Louis Lambert commence, comme Bovary, par une entrée au collège, et il y a une phrase qui est la même : c’est là que sont contés des ennuis de collège surpassant ceux du Livre posthume !

Bouilhet n’est pas venu hier. Il est resté couché avec un clou et m’a envoyé à ce sujet une pièce de vers latins charmante ; à quoi j’ai répondu par une lettre en langage du XVIe siècle, dont je suis assez content.

Il m’est égal que Hugo m’envoie tes lettres, si