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CORRESPONDANCE

en littérature, il se souviendra de moi longtemps. J’ai été funeste aussi à ce malheureux Hamard[1].

Je suis communiquant et débordant (je l’étais est plus vrai) et, quoique doué d’une grande faculté d’imitation, toutes les rides qui me viennent en grimaçant ne m’altèrent pas la figure. B[ouilhet] est le seul homme au monde qui nous ait rendu justice là-dessus, à Alfred [Le Poittevin] et à moi. Il a reconnu nos deux natures distinctes et vu l’abîme qui les séparait. S’il avait continué de vivre, il eût été s’agrandissant toujours, lui par sa netteté d’esprit et moi par mes extravagances. Il n’y avait [pas] de danger que nous [ne] nous réunissions de trop près. Quant à lui, B[ouilhet], il faut que tous deux nous valions quelque chose, puisque, depuis sept ans que nous nous communiquons nos plans et nos phrases, nous avons gardé respectivement notre physionomie individuelle.

Voilà le sieur Augier employé à la police ! Quelle charmante place pour un poète et quelle noble et intelligente fonction que celle de lire les livres destinés au colportage ! Mais est-ce que ça a quelque chose dans le ventre, ces gaillards-là ! C’est plus bourgeois que les marchands de chandelle. Voilà donc toute la littérature qui passe sous le bon vouloir de ce monsieur ! Mais on a une place, de l’importance, on dîne chez le ministre, etc. Et puis il faut dire le vrai, il y a de par le monde une conjuration générale et permanente contre deux choses, à savoir, la poésie et la liberté ; les gens de goût se chargent d’exterminer l’une, comme les gens d’ordre de poursuivre l’autre.

  1. Beau-frère de Flaubert.