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DE GUSTAVE FLAUBERT.

qui m’a particulièrement fait rire, c’est que lui, qui me reproche tant de me mettre en scène dans tout ce que je fais, parle sans cesse de lui ; il se complaît jusqu’à son portrait physique. Ce livre est odieux de personnalité et de prétentions de toute nature. S’il me demande jamais ce que j’en pense, je te promets bien que je lui dirai ma façon de penser entière et qui ne sera pas douce. Comme il ne m’a pas épargné du tout les avis quand je ne le priais nullement de m’en donner, ce ne sera que rendu. Il y a dedans une petite phrase à mon intention et faite exprès pour moi : « La solitude qui porte à ses deux sinistres mamelles l’égoïsme et la vanité ». Je t’assure que ça m’a bien fait rire. Égoïsme, soit ; mais vanité, non. L’orgueil est une bête féroce qui vit dans les cavernes et dans les déserts. La vanité au contraire, comme un perroquet, saute de branche en branche et bavarde en pleine lumière. Je ne sais si je m’abuse (et ici ce serait de la vanité), mais il me semble que dans tout le Livre posthume il y a une vague réminiscence de Novembre et un brouillard de moi, qui pèse sur le tout ; ne serait-ce que le désir de Chine à la fin : « Dans un canot allongé, un canot de bois de cèdre dont les avirons minces ont l’air de plumes, sous une voile faite de bambous tressés, au bruit du tam-tam et des tambourins, j’irai dans le pays jaune que l’on appelle la Chine », etc. Du Camp ne sera pas le seul sur qui j’aurai laissé mon empreinte. Le tort qu’il a eu c’est de la recevoir. Je crois qu’il a agi très naturellement en tâchant de se dégager de moi. Il suit maintenant sa voie ; mais