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CORRESPONDANCE

Il n’y a plus maintenant pour les purs que deux manières de vivre : ou s’entourer la tête de son manteau, comme Agamemnon devant le sacrifice de sa fille (procédé peu hardi en somme et plus spirituel que sublime) ; ou bien se hausser soi-même à un tel degré d’orgueil qu’aucune éclaboussure du dehors ne vous puisse atteindre.

Tu es maintenant sur une bonne voie ; que rien ne te dérange ! Il y a dans la vie un quart d’heure utile pour tout le reste et dont il faut profiter. Tu y es maintenant ; en déviant, qui sait s’il reviendrait ? Ta Paysanne sera une chose solide, chère amie, sois en sûre. Les bonnes œuvres sont celles où il y a pâture pour tous. Ton conte est ainsi : il plaira aux artistes qui y verront le style et aux bourgeois qui y verront le sentiment.

Tu arriveras à la plénitude de ton talent en dépouillant ton sexe, qui doit te servir comme science et non comme expansion. Dans George Sand, on sent les fleurs blanches ; cela suinte, et l’idée coule entre les mots comme entre des cuisses sans muscles.

C’est avec la tête qu’on écrit. Si le cœur la chauffe, tant mieux ; mais il ne faut pas le dire. Ce doit être un four invisible et nous évitons, par là, d’amuser le public avec nous-mêmes, ce que je trouve hideux, ou trop naïf, et la personnalité d’écrivain qui rétrécit toujours une œuvre.

Ah ! il y a huit jours à cette heure-ci ?… Que veux-tu que je dise ? J’y pense. Ce seront des bons souvenirs pour notre vieillesse.

Bouilhet et moi nous avons passé toute notre soirée de dimanche à nous faire des tableaux anticipés de notre décrépitude. Nous nous voyions