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DE GUSTAVE FLAUBERT.

l’argent ! Quand je songe que quantité de gens de lettres maintenant jouent à la Bourse ! Si cela n’est pas à faire vomir ! Quoique la Seine, à cette heure, soit froide, j’y prendrais de suite un bain pour avoir le plaisir de les voir crever de faim dans le ruisseau, tous ces misérables-là. Rien ne m’indigne plus, dans la vie réelle, que la confusion des genres. Comme tous ces poètes-là eussent été de bons épiciers, il y a cent ans, quand il était impossible de gagner de l’argent avec sa plume ! quand ce n’était pas un métier (la colère qui m’étouffe m’empêche de pouvoir écrire — littéral). La mine de Badinguet, indigné de la pièce, ou plutôt de l’accueil fait à la pièce ! Hénaurme ! splendide ! Ce bon Badinguet qui désire des chefs-d’œuvre, en cinq actes encore, et pour relever les Français ! Comme si ce n’était pas assez d’avoir relevé l’ordre, la religion, la famille, la propriété, etc., sans vouloir relever les Français ! Quelle nécessité ? Mais quelle rage de restauration ! Laisse donc crever ce qui a envie de mourir. Un peu de ruines, de grâce (c’est une des conditions du paysage historique et social) ! Ce pauvre Augier, qui dîne si bien, qui a tant d’esprit, et qui me déclarait, à moi, « n’avoir jamais fourré le nez dans ce bouquin-là » (en parlant de la Bible) !

As-tu jamais remarqué comme tout ce qui est pouvoir est stupide en fait d’Art ? Ces excellents gouvernements (rois ou républiques) s’imaginent qu’il n’y a qu’à commander la besogne, et qu’on va leur fournir. Ils instituent des prix, des encouragements, des académies, et ils n’oublient qu’une seule chose, une toute petite chose, sans laquelle rien ne vit : l’atmosphère. Il y a deux espèces de