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DE GUSTAVE FLAUBERT.

un barde de salon. Il m’a demandé si « j’éprouvais beaucoup d’intempéries au bord de l’eau », voulant apparemment savoir s’il faisait très froid à la campagne. Quant à la calvitie, pas un mot, point le moindre trait. Je suis sorti soulagé d’un poids de 75 kilogrammes.

Au bas de la rue Grand-Pont, j’ai songé qu’il fallait me réchauffer par quelque chose de violent et, pensant fort à toi, et je dirai presque à ton intention, je suis entré chez Thillard où j’ai pris un « cahoé » avec un horrifique verre de fil en quatre, ce qui ne m’a pas empêché de parfaitement dîner chez Achille. Joli ordinaire chez ce garçon-là ! Joli ! joli ! Pourquoi s’informe-t-il de toi avec un intérêt tel que j’en suis attendri ?

Je suis revenu à dix heures, couvert de mon tarbouch, enfoncé dans ma pelisse, toutes glaces ouvertes et fumant. La plaine de Bapeaume était comme un steppe de Russie. La rivière toute noire, les arbres noirs. La lune étalait sur la neige des moires de satin. Les maisons avaient un air d’ours blanc qui dort. Quel calme ! Comme ça se fiche de nous, la nature ! J’ai pensé à des courses en traîneau, aux rennes soufflant dans le brouillard et aux bandes de loups qui jappent derrière vous en courant. Leurs prunelles brillent à droite et à gauche comme des charbons, de place en place, au bord de la route.

Et ces pauvres Cafres, maintenant, à quoi rêvent-ils ?

Dans le numéro de la Revue de Paris du 15, à la chronique littéraire, diatribe contre « l’Art pour l’art ». « Le temps en est passé, etc. » « On a compris, etc. ». Je te recommande, du sieur Castille,