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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Ah ! Louise ! Louise ! chère et vieille amie, car voilà huit ans bientôt que nous nous connaissons, tu m’accuses ! Mais t’ai-je jamais menti ? Où sont les serments que j’ai violés, et les phrases que j’ai dites que je ne redise point ? Qu’y a-t-il de changé en moi, si ce n’est toi ? Ne sais-tu pas que je ne suis plus un adolescent et que je l’ai toujours regretté pour toi et pour moi ? Comment veux-tu qu’un homme abruti d’Art comme je le suis, continuellement affamé d’un idéal qu’il n’atteint jamais, dont la sensibilité est plus aiguisée qu’une lame de rasoir, et qui passe sa vie à battre le briquet dessus pour en faire jaillir des étincelles, etc., etc. (exercice qui fait des brèches à ladite lame), comment veux-tu que celui-là aime avec un cœur de vingt ans et qu’il ait cette ingéniosité (sic) des passions qui en est la fleur ? Tu me parles de tes derniers beaux jours. Il y a longtemps que les miens sont partis, et je ne les regrette pas. Tout cela était fini à 18 ans. Mais des gens comme nous devraient prendre un autre langage pour parler d’eux-mêmes. Nous ne devons avoir ni beaux ni vilains jours. Héraclite s’est crevé les yeux pour mieux voir ce soleil dont je parle. Allons, adieu. Écoute Bouilhet. C’est un maître homme et qui non seulement sait faire des vers, mais qui a du jugement, comme disent les bourgeois, chose qui manque généralement aux bourgeois et aussi aux poètes.

Adieu encore ; mille baisers au cœur ; à toi.

Ton G.