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DE GUSTAVE FLAUBERT.

coup ; cela perce et c’est un bon article[1], au sens profitable du mot. L’immoralité l’a choqué, ce monsieur ! Que dis-tu du reproche d’égoïsme à propos des Résidences royales ? Quand je te disais que ton titre était mauvais ! Avais-je tort ? Voilà deux articles favorables, celui de Jourdan et celui de Cuvillier, où l’on n’a trouvé guère à faire que des blagues sur ce malencontreux titre prétentieux. Retire de ces critiques le blâme à l’occasion du titre et il ne reste presque rien. C’était donner à mordre.

L’histoire de Gagne[2] me touche beaucoup. Pauvre homme ! pauvre homme ! Quel enseignement que ces folies-là et quelle terrible chose ! J’ai appris ces jours-ci l’internement à Saint-Yon (maison de fous à Rouen) d’un jeune homme que j’ai connu au collège. Il y a un an, j’avais lu de lui un volume de vers stupides ; mais la préface m’avait remué comme bonne foi, enthousiasme et croyance. J’ai su qu’il vivait comme moi à la campagne, tout seul et piochant tant qu’il pouvait. Les bourgeois le méprisaient beaucoup. Il était (disait-il) en but à des calomnies, à des outrages ; il avait tout le martyre des génies méconnus ; il est devenu fou. Le voilà délirant, hurlant et avec des douches. Qui me dit que je ne suis pas sur le même chemin ? Où est la limite de l’inspiration à la folie, de la stupidité à l’extase ? Ne faut-il pas pour être artiste voir tout d’une façon différente à

  1. Article semi-élogieux publié dans le Journal des Débats (19 septembre 1852) sur : Ce qui est dans le cœur des femmes.
  2. Avocat, candidat malheureux et persévérant aux élections législatives, auteur de nombreux poèmes et drames aussi étranges de forme qu’extravagants de conception.